Histoire

Longtemps, Urame avait été un dieu mineur sans place particulière dans le panthéon. Il était presque invisible dans le panthéon. Ancien comme la conscience elle-même, mais avec des dons qui mettaient trop en valeur l’individualité humaine pour recevoir une once de respect. Qui avait besoin de connaître les pensées humaines? Sinon, quel Dieu demandait à savoir les pensées de ses collègues?  

La mort d’un autre Dieu, aux mains d’êtres humains, et la trahison du Dieu de la vie qui s’en suivit changèrent sa situation. Désormais, envahir l’esprit d’autrui serait utile pour détecter de tels criminels : Urame espionnerait les pensées de ses confrères et y trouverait les hérétiques. Il devint la tête de cette nouvelle inquisition. Le Juge. Il avait trouvé sa place au soleil.

Peut-être que ce nouveau pouvoir lui monta à la tête. Comme il était pratiquement omniscient, la seule preuve qui était nécessaire, c’était sa parole. Comme il était le juge, c’était lui qui déterminait la sentence : la déchéance, toujours. La moindre petite déviance mentale pouvait conduire un Dieu à perdre tout ce qu’il possédait. Le pire crime : être amoureux d’un humain ou lui faire des enfants. Dans ce cas, ce n’était pas seulement l’hérétique qui écopait. Ses complices étaient condamnés à mort. Si un Dieu tombait pour une femme ou un homme, Urame s’assurait que ceux-ci meurent dans d’atroces souffrances. Il était craint par les doux, aimé par les plus cruels. Il disait qu’il ne faisait que son travail, mais il raffolait de ce règne de terreur.

Un jour, un de ses subordonnés, le Dieu de la Justice (quel titre ridicule, Urame était la justice) finit par déclarer les actions du Juge comme abusives. Quel hérétique. Urame le fit condamner, comme les autres. Il n’y pensa même pas vraiment. Mais l’infâme était plus futé que le Juge l’eut cru.

Alors qu’il participait à l’exécution protocolaire de la femme humaine d’une hérétique (une tragédie devenue banale, c’était la seule occasion à laquelle il acceptait de poser les pieds sur le même sol que les mortels), le Juge disparut. Quelques heures plus tard, il transmit les coordonnées précises de sa position à Régive, pour que quelqu’un vienne le récupérer. Quelques heures passèrent encore, il déclara qu’il n’avait pas besoin d’aide et qu’il allait revenir par lui-même.

Après ça, personne ne vit ou n’entendit parler du Juge Urame pendant presque dix ans.

Son poste fut rapidement transféré au nouveau Dieu de la Justice. On décida que, avec un rôle aussi minime que Dieu des pensées, retrouver Urame alors qu’il ne donnait aucune nouvelle était une incroyable perte de temps et de ressources. Les doux étaient rassurés. Les cruels n’étaient que légèrement ennuyés.

La vérité, c’était que cette saleté d’ancien Dieu de la Justice, cet hérétique, avait décidé que, lorsqu’il était tombé du ciel, son bourreau allait chuter avec lui. Il allait le kidnapper et le condamner pour ses actions.

Les motivations : Troy (c’était comme ça qu’il s’appelait, ça ne servait à rien de rappeler son statut divin échu, il ne valait plus qu’une fourmi) trouvait que Urame avait déchu des dieux qui ne le méritaient pas et les humains ne méritaient pas la cruauté qu’on leur faisait subir. Le plan : kidnapper le Juge, le forcer à changer d’hôte pour qu’il ne soit pas physiquement reconnaissable, le traîner dans une petite propriété qu’il partageait avec un Daemon pour lui faire subir un horrible châtiment.

Urame trouvait sa petite magouille hilarante. Sa vie avait été monotone, récemment, alors il se laissa enlever.